Leçon à retenir : En raison des lois qui protègent l’indépendance de la Réserve fédérale, il serait extrêmement difficile pour le président Trump d’exercer une influence directe sur les décisions de cette dernière en matière de politique monétaire à court terme.
Le président Trump est devenu célèbre pour avoir inventé l’expression « You’re fired! » (traduction libre : Vous êtes viré!) dans le cadre de son émission de télé-réalité The Apprentice. Récemment, il a provoqué de la volatilité dans les marchés des taux d’intérêt américains en menaçant de limoger le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, en raison de désaccords sur la politique monétaire. Le présent article aborde en détail la question de savoir si le président Trump peut effectivement exercer une influence sur la Réserve fédérale et les taux d’intérêt aux États-Unis.
Pourquoi n’est-il pas facile d’influencer la Fed?
La Federal Reserve Act (la loi sur la Réserve fédérale) a institué un conseil des gouverneurs composé de sept membres, dont les mandats d’une durée de 14 ans sont échelonnés et se terminent à des dates fixes (le 31 janvier des années paires). Les gouverneurs ne peuvent être révoqués que « pour motif valable » – une norme juridique définie par l’arrêt historique de 1935 de la Cour suprême dans l’affaire Humphrey’s Executor – par exemple, une inconduite ou une incapacité. Un simple désaccord en matière de politique n’est pas un motif valable. Le président de la Fed occupe un poste de direction supplémentaire d’une durée de quatre ans. Il y est nommé par le président (des États-Unis) et sa nomination est confirmée par le Sénat. Il bénéficie néanmoins de la même protection contre la révocation que les autres gouverneurs. Il n’existe aucun précédent moderne de révocation d’un gouverneur ou d’un président de la Fed, et toute analyse juridique crédible indique que toute tentative de révocation serait immédiatement contestée devant les tribunaux.
À l’heure actuelle, le mandat de Jerome Powell en tant que président de la Fed court jusqu’au 15 mai 2026, tandis que son mandat de gouverneur prendra fin le 31 janvier 2028. Les mandats d’autres gouverneurs s’étendent également bien au-delà de l’actuel mandat du président Trump : c’est le cas d’Adriana Kugler (2026), de Christopher Waller (2030), de Michael Barr (2032), de Michelle Bowman (2034), de Philip Jefferson (2036) et de Lisa Cook (2038). Ces dates fixées par la loi limitent considérablement la rapidité avec laquelle une administration de la Maison-Blanche peut refaçonner la politique monétaire sans enfreindre les contraintes légales en place.
Le président Trump est donc confronté à deux voies principales :
Option 1 : Confrontation directe (il limoge ou rétrograde Powell)
La mesure la plus radicale consisterait pour M. Trump à rétrograder M. Powell de son poste de président ou à tenter de carrément le limoger. Le 21 avril, le président Trump a laissé entendre publiquement, dans les médias sociaux, que [traduction] « le congédiement de M. Powell ne pourrait pas arriver assez rapidement », ce qui a immédiatement ébranlé les marchés : l’indice du dollar a baissé, les rendements des bons du Trésor à dix ans ont augmenté et les contrats à terme de l’indice S&P 500 ont chuté de près de 2 %. Le lendemain, lorsque M. Trump a fait savoir aux journalistes qu’il n’avait « aucune intention » de congédier M. Powell, les marchés se sont rapidement renversés, ce qui fait valoir la très grande sensibilité des marchés financiers mondiaux à toute ingérence politique, voire à la moindre perception d’ingérence.
Sur le plan juridique, une révocation serait compliquée. L’administration Trump pourrait soutenir que le mandat de quatre ans de président de la Fed est distinct du celui de quatorze ans de gouverneur pour l’exempter des protections décrites dans l’affaire Humphrey’s Executor. M. Powell contesterait probablement cette décision sur-le-champ en s’appuyant sur le précédent historique selon lequel une confirmation par le Sénat confère implicitement une protection « pour motif valable ». Dans son analyse juridique du 22 avril, Kiplinger souligne que des questions similaires sont déjà en suspens devant la Cour suprême, qui pourrait bientôt préciser ou modifier les normes en place. Si la Cour suprême maintient le précédent, les efforts de M. Trump s’enliseront. Si la Cour affaiblit ou annule ce précédent, l’influence du président pourrait – pour la première fois – s’étendre de manière considérable à la Fed.
Même si M. Trump l’emportait devant les tribunaux, cette victoire aurait un coût économique élevé. L’ancien président de la Réserve fédérale de Boston, Eric Rosengren, a averti que l’affaiblissement de l’indépendance de la Fed pourrait faire que les États-Unis [traduction] « commercent comme un pays du tiers monde », ce qui inciterait les investisseurs étrangers à hausser leurs primes de risque.
Option 2 : Influence progressive par les nominations et le calendrier
La stratégie plus discrète – mais plus plausible – consiste à tirer parti de postes vacants et de mandats venant à échéance. Le 1er février 2026, le mandat de la gouverneure Adriana Kugler prendra fin, offrant ainsi à M. Trump la possibilité de nommer une personne partageant ses idées pour succéder à Mme Kugler, sous réserve de l’approbation du Sénat. Trois mois plus tard, le mandat de M. Powell à la présidence de la Fed prendra fin, donnant ainsi au président américain la possibilité de nommer un gouverneur républicain en poste, tel que Christopher Waller ou Michelle Bowman, pour succéder à M. Powell – sans avoir à démettre qui que ce soit de ses fonctions pour autant. Une telle décision aurait une influence considérable sur les messages de la Fed, sur le ton de ses conférences de presse et sur les prévisions influentes du « diagramme par points » qui façonnent les attentes du marché. En cas d’autres vacances en raison de démissions ou de fins de mandat prévues, il faudrait plusieurs mandats présidentiels pour nommer une majorité de gouverneurs afin de réussir à fermement réorienter la politique monétaire.
L’incidence sur les marchés d’une telle prise de contrôle progressive dépend fortement des perceptions d’investisseurs. Les marchés évaluent les fonctions de réaction de la banque centrale à travers ses communications, la structure de ses votes et ses déclarations publiques. Une personne conciliante à la présidence pourrait faire évoluer les attentes du marché vers une politique monétaire plus souple avant même d’obtenir une majorité officielle. Inversement, si une nouvelle personne à la présidence est perçue comme trop influencée par des intérêts d’ordre politique, les marchés obligataires pourraient évaluer les risques globaux et les taux d’intérêt à la hausse.
Au bout du compte :
Un président américain ne peut pas fixer unilatéralement les taux d’intérêt, mais il peut menacer, plaider et procéder à des nominations stratégiques de gouverneurs. Étant donné la corrélation étroite entre le Canada et les taux en vigueur aux États-Unis, toute érosion de l’indépendance de la Réserve fédérale devient rapidement un enjeu financier pour le Canada. En réalité, toutefois, il serait extrêmement difficile pour le président Trump d’exercer une influence directe sur les décisions de la Fed en raison des garanties juridiques protégeant son indépendance.